Thursday, May 2, 2002 to Saturday, June 15, 2002

    Opening
    • Thursday, May 2, 2002

    Maintenant une tension inconfortable entre signe et signification, le travail de Garry Neill Kennedy tend constamment à percer l'ingéniosité de la surface afin d'explorer les conventions harmonieuses qui y sont simultanément transmises et dissimulées. Alors que l'artiste enquête sur les utilisations sociales de la couleur, des formes et de la représentation, il nous propose de relâcher notre emprise sur nos habitudes en matière de consommation culturelle en ouvrant les yeux et l'imagination. Dans Somalie, avec l'intention de déranger, il juxtapose deux objets fabriqués par la société pour une mission de maintien de la paix qui a très mal tournée.

     

    Sur le mur extérieur ouest de la Galerie 101, Kennedy a créé une peinture à rayure inspirée de la couleur du ruban utilisé pour suspendre la Médaille de Somalie, émise par le Département de la Défense nationale au personnel des Forces armées canadiennes qui a vu du service lors d'Opération DÉLIVRANCE (du 16 novembre 1992 au 30 juin 1993). À l'intérieur de la galerie, Kennedy montre une édition du Times Literary Supplement, où prédomine une photo troublante, où l'on voit un soldat du maintien de la paix des Nations Unies donner un coup de pied à un garçon somalien. Ces deux images, la peinture murale d'une esthétique fascinante et la photographie d'une sauvagerie implacable, s'opposent dans un contraste saisissant et apparemment inconciliable. Physiquement, l'installation exclut en effet la possibilité de voir les deux images ensemble en même temps.

     

    Un visiteur peu familier avec le travail de Kennedy ne verra peut-être dans Somalie qu'un pamphlet idéologique exposant le pouvoir déformant des images commémoratives officielles. Une telle interprétation ne pourrait être plus superficielle et incomplète. Encore une fois, l'œuvre de Kennedy nous montre clairement que quelque chose se cache sous les surfaces esthétiquement construites et que ce quelque chose refuse aussi de nous dire la vérité crue et directe, sans fioriture. Plutôt que de ramener l'ambiguïté à la certitude en privilégiant une surface plutôt que l'autre, Kennedy propulse le visiteur dans un mouvement incessant d'oscillation entre représentation et réalité, entre apparence et authenticité, entre illusion et signification. La juxtaposition de la peinture murale et du Times Literary Supplement produit à la fois une sensation d'étrangeté par rapport à ce qui avait toujours semblé familier, et un étonnant sentiment d'identification par rapport à ce qui avait d'abord paru étranger, indésirable, réfutable.

     

    Dans son livre Contingency, Irony, and Solidarity, Richard Rorty rappelle que par notre imagination plutôt que par une analyse rationnelle, il nous est plus facile d'établir une forme de solidarité avec ce qui semble être « autre » :

     

    «Dans ma pensée utopique, la solidarité humaine ne devrait pas être considérée comme un fait qu'on doit reconnaître en éliminant les « préjudices » ou en creusant à des profondeurs encore insoupçonnées mais, plutôt, comme un but ultime à être atteint. Ce but de solidarité doit être atteint non par questionnement mais par imagination, cette capacité d'imagination qui permet de voir en des personnes étrangères des partenaires dans la douleur. La solidarité n'est pas découverte par réflexion mais elle est créée. Elle est créée lorsque nous ressentons une plus grande empathie face aux détails particuliers de la douleur et de l'humiliation des autres, de ces personnes de races inconnues. Par cette plus grande sensibilité, il devient plus difficile de marginaliser des personnes différentes de nous en entretenant des pensées telles : « Ils ne sentent pas les choses comme nous » ou « Il y aura toujours de la souffrance, pourquoi ne pas laisser souffrir ceux-là au lieu de nous? »

     

    Dans Somalie, Kennedy mêle ironie et imagination pour intensifier un fragile sentiment de solidarité humaine provenant de belles constructions et de rudes imprévus qui façonnent notre expérience du monde et nos rapports avec autrui. Voir Somalie, c'est nous voir nous-mêmes dans le rôle du soldat et dans celui du garçon de la photographie, tout en nous drapant dans les couleurs du drapeau de la Somalie (le bleu et le blanc), dans les couleurs des services des Forces canadiennes (le bleu marin, le pourpre, le bleu de l'armée de l'air) et le sable durci mais changeant du désert.

     

    Martin Barlosky, Ottawa, mars 2002